par Richard Stallman
Dans le Mouvement du logiciel libre, nous pensons que les utilisateurs d'ordinateurs devraient être libres de modifier et de redistribuer les logiciels qu'ils utilisent. Le «libre» de logiciel libre renvoie bien à la notion de liberté : il signifie que les utilisateurs ont la liberté d'exécuter, de modifier et de redistribuer le logiciel [NdT : dans l'original en anglais, le terme «free» est employé, avec l'ambiguïté propre à la langue anglaise associée à ce mot qui signifie aussi bien «gratuit», ou «libre»]. Le logiciel libre contribue au savoir humain, au contraire des logiciels non libres. Les universités devraient donc encourager le logiciel libre dans l'intérêt de l'avancée de la connaissance humaine, de la même manière qu'elles devraient encourager les scientifiques et les étudiants à publier leurs travaux.
Hélas, bien des directeurs d'universités ont une attitude possessive envers le logiciel (et envers la science); ils considèrent les programmes comme autant d'opportunités de revenus, et non comme une chance de participer à la connaissance humaine. Les développeurs de logiciels libres ont dû faire face à cette tendance depuis presque 20 ans.
Quand j'ai commencé à développer le système d'exploitation GNU en 1984, mon premier pas a été de démissionner de mon poste au MIT. J'ai fait cela spécialement pour que le bureau des licences du MIT ne puisse interférer avec la diffusion de GNU en tant que logiciel libre. L'approche que j'avais élaborée pour les licences des programmes de GNU permet de garantir que toutes les versions modifiées doivent être aussi des logiciels libres, un concept qui s'est approfondi dans la Licence publique générale GNU (GPL GNU), et je ne voulais pas avoir à supplier l'administration du MIT de me laisser l'utiliser.
Pendant des années, des universitaires ont souvent contacté la Fondation pour le logiciel libre afin d'obtenir des conseils sur la manière de s'arranger avec des directions qui voient seulement dans le logiciel quelque chose qui puisse se vendre. Une bonne méthode, qui peut même être appliquée sur des projets financés de façon spécifique, est de baser votre travail sur un programme existant qui a été publié sous licence GPL GNU. Vous pouvez alors dire aux gestionnaires : «Nous n'avons pas le droit de diffuser la version modifiée autrement que sous GPL GNU -- toute autre façon constituerait une violation de copyright.» Une fois évanouis sous leurs yeux les symboles de dollars [NdT : d'euros ou autres], ils consentiront généralement à le diffuser en tant que logiciel libre.
Vous pouvez aussi appeler à l'aide votre sponsor financier. Quand un groupe de NYU [NdT : New-York University] a développé le compilateur Ada GNU, avec le financement de l'U.S. Air Force, le contrat précisait explicitement que le code résultant serait cédé à la Fondation pour le logiciel libre. Obtenez un arrangement avec votre sponsor tout d'abord, puis faites remarquer poliment à l'administration de votre université que ce point n'est pas renégociable. Elle préférera un contrat pour développer un logiciel libre que pas de contrat du tout, donc elle s'en accommodera vraisemblablement.
Quoi que vous fassiez, posez le problème au plus tôt -- certainement avant que le programme ne soit à moitié terminé. À ce stade, l'université a encore besoin de vous, donc vous pouvez négocier durement : dites à l'administration que vous terminerez le programme, le rendrez utilisable, s'ils acceptent par écrit d'en faire un logiciel libre (sous la licence de logiciel libre que vous aurez choisie). Sinon vous travaillerez dessus juste assez pour pouvoir écrire un papier à son propos, et ne créerez jamais une version suffisamment correcte pour être diffusée. Quand la direction comprendra qu'elle n'a le choix qu'entre un paquetage de logiciel libre qui créditera l'université et rien du tout, elle choisira généralement la première solution.
Toutes les universités n'ont pas des politiques possessives. L'Université du Texas a une politique qui permet facilement de diffuser un logiciel développé là-bas en tant que logiciel libre sous la Licence publique générale GNU. Univates au Brésil et l'Institut indien des technologies de l'information à Hyderabad, en Inde, ont tous deux adopté une politique en faveur de la diffusion des logiciels sous GPL. En développant tout d'abord l'appui du corps professoral, vous pouvez peut-être instaurer une politique de ce genre dans votre université. Présentez le problème comme une question de principe : est-ce que la mission de l'université est de faire progresser la connaissance humaine, ou est-ce que son seul but est de s'entretenir elle-même?
Quelle que soit l'approche que vous choisissez, faire preuve de détermination et opter pour une perspective éthique, comme nous le faisons au sein du Mouvement du logiciel libre, aide toujours. Pour faire preuve d'éthique envers le public, le logiciel devrait être libre pour l'ensemble du public.
Beaucoup de développeurs de logiciels libres font état d'une motivation pour produire du logiciel libre pragmatique et limitée : ils soutiennent que permettre aux autres de partager et de modifier le logiciel a pour avantage la construction de logiciels puissants et fiables. Si ces valeurs vous motivent à développer du logiciel libre, c'est bon et bien, et nous vous remercions pour votre contribution. Mais ces valeurs ne vous aideront pas à rester ferme face à la direction de l'université quand elle essaiera de faire pression ou de vous inciter à rendre le programme non libre.
Par exemple, elle pourra avancer : «Nous pourrons le rendre encore plus puissant et fiable avec tout l'argent que nous en obtiendrons». Cet argument peut s'avérer vrai ou faux au final, mais il est difficile de le démentir à l'avance. Ils pourraient suggérer une licence permettant d'offrir des copies «gratuites, réservées à une utilisation académique», ce qui signifie au public qu'il ne mérite pas de bénéficier de la liberté, et ils ajouteraient que cela vous permettra d'obtenir une coopération universitaire, ce qui est (selon eux) tout ce dont vous avez besoin.
Si vous partez de valeurs «pragmatiques», il est difficile de donner une bonne raison pour rejeter ces propositions sans issue, alors que vous pouvez le faire facilement si vous basez votre position sur des valeurs éthiques et politiques. Qu'y a-t'il de bon à faire un programme puissant et fiable au prix de la liberté des utilisateurs? La liberté ne devrait-elle pas s'appliquer tout autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Université? Les réponses sont évidentes si la liberté et la communauté font partie de vos objectifs. Le logiciel libre respecte la liberté des utilisateurs, alors que les logiciels non libres la bafouent.
Rien ne peut renforcer plus votre résolution que le fait de savoir que la liberté de la communauté dépend, en cette occasion, de vous.